Un cours boursier en chute libre de 94 %, plus de 3 milliards de dettes et des capitaux propres dans le rouge, des créanciers et des actionnaires passant des millions au compte de pertes et profits, des centaines de partenaires dans l’expectative ou l’urgence, une incertitude légitime quant à la disponibilité des fonds de milliers de clients… Le dramatique bilan Wirecard ne peut décemment pas laisser insensibles les dirigeants d’établissements financiers qui veillent à la sincérité des comptes qu’ils détiennent et gèrent scrupuleusement.
Sans compter qu’aux yeux du public, le monde de la fintech suscite admiration et défiance. Savant mélange de maitrise technologique et d’exigences règlementaires, les fintechs délivrent leurs innovations financières autour de processus à faible coût marginal, ce qui rend leur modèle attractif pour peu qu’elles atteignent une certaine taille. Le comportement des dirigeants de Wirecard n’aidera donc pas à une meilleure compréhension des enjeux d’un marché en forte croissance. La fintech s’est, en outre, mondialisée rapidement. Et la défaillance coupable d’un de ses maillons demeure inacceptable au vu des multiples préjudices qu’elle peut engendrer.
Ce scandale est d’abord le fruit avarié d’une gouvernance devenue insensée. Wirecard, c’est une entreprise en hyper croissance, une majestueuse entrée en bourse six ans après sa création, de multiples rachats réussis, des solutions innovantes, une expansion dans le monde entier. Mais elle devait aussi faire face à un périmètre opérationnel déficitaire, qu’elle a cherché à régler par le maquillage de ses comptes, et qu’elle justifie aujourd’hui par la volonté de présenter « une situation financière avantageuse dans le but d’attirer de nouveaux investisseurs et clients. »
Alors, soit le scandale Wirecard se double d’un mensonge éhonté, dissimulant d’autres actes criminels auxquels les parties prenantes sont plus nombreuses qu’on ne l’estime (il faudra pour ça attendre la fin des enquêtes), soit plus probablement, ses dirigeants sont coupables d’avoir cherché à s’enrichir au prix de toutes les compromissions et d’avoir tout bonnement perdu le contact avec l’élémentaire réalité économique et sociale. Et leurs auditeurs avec eux. Wirecard ne pose pas la question du risque technologique ou d’une éventuelle remise en cause du modèle des fintechs. Wirecard interroge la validité du concept « Too big to fail » quand les conditions sont réunies comme ce fut le cas en Allemagne.
La difficulté de ce dossier tient en grande partie à l’organisation pyramidale de Wirecard. L’entreprise a développé un gigantesque écosystème, composé de filiales établies sur 4 continents, rendant la réalisation d’audits consolidés complexe et le travail du régulateur allemand, pourtant consciencieux, particulièrement laborieux. La France ne compte pas, parmi ses établissements financiers, d’organisations aussi tentaculaires. Le paysage s’en fait autrement plus lisible.
Par ailleurs, le régulateur français applique méticuleusement la législation et la réglementation financière, avec un zèle notable dans son interprétation plus rigoureuse des textes européens dans leur transposition française. Or c’est une exception. Qu’il s’agisse des contrôles, plus poussés, plus impartiaux, plus stricts et plus nombreux qu’ailleurs, de la délivrance au compte-gouttes des agréments, ou encore des règles de protection des fonds de la clientèle et la vérification systématique de leur respect, l’ACPR construit année après année le palladium sans faille de la conformité financière à la française.
Moins d’entreprises à contrôler, de taille plus réduite, une connaissance fine de leur environnement, un corpus législatif et réglementaire particulièrement contraignant (on citera notamment le déclenchement d’un co-commissariat aux comptes à partir de seuils relativement bas), cet ensemble d’attributs franco-français compose un filet aux mailles suffisamment serrées pour qu’une telle déroute ne se produise pas dans l’hexagone. C’est une doctrine que l’on aurait raisonnablement attendue de la part du régulateur allemand.
Pourtant, les faits démontrent que la BaFin interprète autrement les textes et peut, dans certains cas, privilégier un traitement politique (comme l’interdiction de vente à découvert de l’action Wirecard) et adopter une attitude défensive (cette surprenante procédure lancée contre les journalistes du Financial Times) très éloignés des comportements souhaitables d’un régulateur. Ce positionnement, sujet à caution, interpelle avec force, parce qu’il induit nécessairement d’importantes distorsions de concurrence, selon l’État dans lequel l’établissement est agréé et contrôlé.
L’affaire Wirecard a démontré combien il est facile de soutenir une entreprise selon l’interprétation que l’on fait des normes et le périmètre d’intervention que l’on s’arroge. S’il est heureux que l’European Banking Authority, le régulateur européen, ait d’ores et déjà engagé les discussions vers une plus grande harmonisation des pratiques des États membres, les sujets sont multiples et les débats susceptibles d’être houleux. Les plus rigoureux pourraient vouloir encore renforcer leur contrôle, avec un coût toujours plus élevé pour les établissements déjà sur-contrôlés. A l’inverse, d’autres sujets majeurs mériteraient d’être portés à la réflexion, comme la question du périmètre d’intervention des régulateurs et le renforcement de leur rôle dans la vérification de la véracité des opérations de bilan des auditeurs. En tout état de cause, les missions des régulateurs et l’intransigeance avec laquelle ils les mènent restent une exigence absolue, autant pour la construction de la confiance, la protection des usagers et la préservation d’une économie libre et saine, dépouillée de ses effets d’aubaine.
En vous inscrivant à la newsletter vous acceptez de recevoir des mails de Digital Mag sur son actualité et ses offres en cours. Vous pouvez à tout moment vous désinscrire dans la partie basse des Newsletters envoyées.