Début novembre, en annonçant son engagement massif dans le métavers, « l’Internet de demain », Mark Zuckerberg, le PDG de Facebook, a parlé de «prochaine révolution des relations sociales ». Dans ce nouvel univers immersif en 3D, des avatars pourront faire des expériences de vie et d’achats démultipliés. « Il sera possible d’apprendre, de collaborer, de jouer de façon encore inimaginable », affirme-t-il. Dans les années 2000, le pionnier Second Life avait ouvert la voie, suivi plus récemment par les éditeurs de jeux vidéos comme Epic Games (Fortnite), Roblox ou Decentraland. Le Métavers touche déjà des milliers de personnes et se popularise de jour en jour.
Dans la foulée du Bitcoin né en 2008, les crypto monnaies sont elles aussi en plein essor dans ce nouveau monde virtuel. Quant aux NFT (*), autre nouveau-né, on estime que le marche mondial devrait atteindre 10 milliards de dollars d’ici la fin 2021.
Boostée par la crise sanitaire du COVID, cette nouvelle vie parallèle et cette économie virtuelle rappellent les débuts de l’Internet moderne à l’aube des années 2000. Les experts sont formels : nous n’en sommes qu’au début de l’histoire et ce nouveau territoire 3.0 est né pour durer. L’avenir qui se dessine est infini. On ne connaît pas encore aujourd’hui les géants du Métavers de demain.
Comme tout nouveau territoire à conquérir, ce nouveau Far West numérique comporte ses aventuriers, ses explorateurs et… ses dangers. Pour les marques, il ouvre des opportunités colossales. Le mouvement profite autant aux nouvelles marques qu’aux plus anciennes. Des champagnes Dom Perignon qui ont produit récemment des éditions limitées sous formes d’œuvre NFT achetables dans une boutique en ligne, à Domino’s Pizza qui permet aux joueurs sur Decentraland d’acheter leur pizza dans le Métavers et se la faire livrer à domicile quelques minutes après.
Car avec ses nouveaux territoires 3.0, c’est toute une nouvelle génération de consommateurs qui est née. Cette génération baptisée « N » pour « generation Novel » par l’anthropologue digital Brian Solis qui la définit comme « un segment cross-générationnel de consommateurs digital first galvanisés par les effets disruptifs du COVID 19 », « un mélange d’early adopters de consommation en ligne et de néophytes que le confinement a propulsé à vitesse grand V dans un mode de consommation numérique vers lequel ils allaient jusque-là à reculons
Ce qui définit cette « génération N » n’est pas tant l’expérience des outils numériques que la façon dont ils consomment. Dans cet univers digital, où tout s’achète et se vit via des avatars, on peut tout imaginer, vivre des expériences digitales ultra-immersives, être acteur, créateur, développeur. Une expérience bien différente et des possibilités infiniment plus vastes que sur les actuels réseaux sociaux. Des communautés au potentiel formidablement imaginatives, inclusives et démocratiques peuvent s’y constituer.
Dans ce nouveau territoire numérique, les marques ont donc tout à (ré)inventer. A condition, toutefois, de savoir façonner autrement le récit de la marque de manière plus authentique, plus inspirante, plus ouverte, non scénarisée, plus créative.
A contempler ces nouveaux univers 3.0, on peut les juger froids, inodores, lisses, inhumains. A se demander si l’Homme, et plus précisément le designer, ont encore leur place dans ce monde. Erreur ! C’est ici, précisément, que le design prend toute sa place. Car un monde sans designer, fût-il digital, ne peut exister. Ce serait signer la fin de l’innovation, du progrès.
Pour le comprendre, il faut revenir à la raison d’être du design : lui seul permet de rendre la vie des gens plus facile, mettre le monde en adéquation avec le mode de vie, les valeurs et les besoins des êtres humains. Les designers qui pensent la marque sont pluri disciplinaires et profondément humanistes. Ils la représentent par des récits, des personnages, des codes et des signes distinctifs, pour qu’elle soit mieux comprise par les consommateurs. Le designer peut non seulement influencer mais aussi créer ce nouveau monde digital, en l’ humanisant. Capitalisons, donc, sur l’humanisme des designers, pour accompagner les marques dans cette nouvelle conquête.
Loin de tuer notre métier de designer, ce nouvel environnement digital représente une formidable opportunité, aussi, de travailler autrement. Déjà, le COVID a eu pour effet collatéral de faire évoluer la pratique du designer dans le digital. Les idées s’échangent plus rapidement, et de façon plus horizontale, plus collaborative. Dans le même temps, de nouveaux outils, plus ludiques, sont nés. Les logiciels d’aide à la création sont pensés pour faire émerger plus rapidement les projets, les algorithmes sont là pour corriger les petites erreurs, fluidifier et affiner le trait lorsqu’il s’agit de dessiner une typographie par exemple ; ou de créer des animations, de les caler sur un morceau de musique pour qu’un film prenne vie.
Tous ces outils sont des alliés plus que précieux pour injecter de l’émotion dans ce nouveau monde numérique. Il n’y a pas lieu d’opposer le travail « artisanal », fait à la main en direct avec la matière, au travail réalisé sur ordinateur ou via des intelligences artificielles. L’intelligence artificielle n’est pas notre ennemi.
Certes, l’Intelligence Artificielle est un formidable outil. Les machines nous font gagner du temps, notamment sur les parties répétitives des processus. Une machine ne travaille pas toute seule. Il faut toute l’intelligence du corps et du geste que ne possédera jamais une machine. L’IA ne fait pas d’essais-erreurs, elle ne ressent rien, n’a pas ni émotion, ni intuition. Ce qu’elle produit n’aura pas la profondeur et le charme de tout ce qui n’est justement pas programmable, « toutes ces choses impalpables qui de manière unique fondent notre humanité », comme l’écrit Gerd Leonhard (**). Au départ d’une problématique design, il y a toujours quelque chose de fondamentalement intellectuel et humain : une idée, un concept. Derrière l’IA, il y a toujours un créatif. Que les univers soient réels ou virtuels, ce sont les mêmes principes de bases fondamentaux enseignés dans les écoles de design – l’esthétique, le rythme- qui permettent leur construction.
Un ordinateur peut battre n’importe quel Grand Maître aux échecs mais sera incapable de mener à bien l’assemblage des idées qui constitue, pour longtemps encore, le travail du designer lorsqu’il veut faire passer une émotion ou raconter une histoire. Les marques, elles, auront toujours besoin des designers, de l’humain et de sa créativité.
(*) Un NFT pour « Non Fungible Token » est un jeton unique qui représente un objet virtuel ou numérique enregistré sur une blockchain.
(**) in « L’humanité face à la technologie » de Gerd Leonhard
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